Qu’est-ce que le feu ? Il reste aujourd’hui encore très difficile de répondre d’un point de vue scientifique à cette question. « La séduction première exercée par cet élément est si définitive qu’elle déforme les esprits les plus droits et qu’elle les ramène toujours au bercail poétique où les rêveries remplacent la pensée, où les poèmes cachent les théorèmes » écrit Gaston Bachelard, dans l’avant-propos de son premier ouvrage sur la série des éléments, La Psychanalyse du Feu, paru en 1938.

Épistémologue et philosophe des sciences, Bachelard s’est plus spécialement intéressé aux relations qu’entretiennent la science et l’imagination, les rêves et les songes. Au delà de ses ouvrages scientifiques, il s’est livré, avec La Psychanalyse du Feu, à une étude approfondie de l’imaginaire littéraire et poétique. Sur l’axe de la théorie de la connaissance, Bachelard place cette étude de façon diamétralement opposées à La Formation de l’esprit scientifique, qu’il a écrit la même année : à une extrémité de la ligne de partage Bachelard dénonce l’obstacle exercé par l’imagination sur le développement de la connaissance scientifique tandis qu’à l’autre il en souligne le rôle fécond, indispensable à la création littéraire, poétique ou artistique. Il estime que l’objectivité scientifique — la rupture avec le charme de l’objet immédiat — ne se gagne qu’aux dépens de l’attirance séductrice que l’objet d’étude exerce sur notre imaginaire. Et selon Bachelard, la connaissance objective du feu n’a jamais réussi à arracher l’esprit au plaisir narcissique que donne l’évidence première, rendant la vérité fondamentale de l’élément inaccessible. Le feu, qui pourtant nous fascine, ne retrouve que depuis peu, avec le physicien Vincent Robin, à l’Institut PPrime de Poitiers, son statut d’objet de recherche scientifique ; mais pour l’instant, pour la commun des mortels, son mystère demeure.

Le spectacle du feu est à l’origine d’une mythologie universelle remontant à des temps immémoriaux dont le philosophe propose de suivre la trace au fil de l’histoire humaine. Avec des méthodes relevant de la psychanalyse, notamment jungienne, il recense les mythes qui, depuis Prométhée, ont accompagné la conquête du feu. Héraclite, rappelle Bachelard, considère le feu comme principe premier d’un univers en perpétuel devenir, symbole à la fois de la lutte et de l’unité des contraires, de la vie et de la mort. Intime et universel, dieu tutélaire et terrible, bon et mauvais, doux et torturant, le feu est l’ultra-vivant, le seul qui puisse recevoir aussi nettement les deux valorisations contraires : le bien et le mal. L’homme craint sa force de destruction, mais reconnaît en lui la source de chaleur et de vie et donc, de création.

Ce qu’on connaît d’abord du feu, c’est qu’on ne doit pas le toucher. L’interdit du feu, source de rêverie, précède l’expérience du feu. La science se forme plutôt sur une rêverie que sur une expérience. « Le rêve précède l’expérience, il est plus fort qu’elle, on ne peut étudier que ce qu’on a d’abord rêvé », affirme Bachelard.

Le rêve de Feu est très présent dans l’imaginaire de Mireille Camus. Fortement associé à la couleur rouge, couleur symboliquement forte, il porte à la fois les valeurs négatives de danger, de puissance, de destruction et les valeurs positives d’énergie, de chaleur affective, d’émotion, de régénération.

On retrouve ainsi dans les toiles de l’artiste — et même si pour elle le tableau ne prend réellement sens qu’une fois achevé — la multiplicité des figures du Feu, leur ambivalence et leur force imaginative. Dans une approche éloignée de tout réalisme, elle nous invite à percevoir plus intimement ses rêveries sur le feu, un feu qu’elle nous livre jaillissant dans sa domination éruptive et destructrice, chargé d’étincelles dans sa volonté de damnation éternelle, vif dans l’éclair ou incandescent dans la brûlure des affects. Mireille Camus explore le feu moderne, tel celui des rougeoyantes aciéries, mais elle évoque aussi, allusivement, à partir d’un petit rectangle d’étoffe, un feu antique, mortel, dont Héraclès a souffert quand il a revêtu la tunique imprégnée du sang toxique de Nessos, le Centaure. Elle nous présente l’ambiguïté d’un feu naissant que l’on peut imaginer issu du frottement originel et primitif de deux pièces de bois sec, feu apte à réchauffer un promeneur égaré, mais aussi capable d’incendier la forêt. Elle rêve encore au feu qui anime les pulsions humaines, colère ou passion, aux bouquets multicolores qui illuminent le ciel des grands soirs de fête, ou au feu apaisé et vaincu, dont il ne subsiste plus que braises et cendres.

Les créations de Mireille Camus témoignent d’un engagement total dans son art. Elles révèlent une profondeur sensible et subtile pour exprimer et transmettre les émotions. Devant ses tableaux, on perçoit combien l’anime la tension imaginative et sa volonté de peindre vrai. On s’étonne de la vigueur de cette flamme, de cette lumière intime que ses œuvres font vivre en nous. Pourtant son élan, son ardeur, ne suffisent pas toujours à apaiser les doutes qui l’assaillent. Elle n’ignore pas que créer c’est s’égarer, que chaque toile est un risque et que la satisfaction, à la fin du tableau, n’est pas toujours au rendez-vous. Avec persistance les mêmes questions restent posées : « Suis-je parvenue à traduire ce que j’avais imaginé ? Oserai-je montrer ma peinture ? Ne seront-ils pas déçus par mon travail ? » Il lui faut, pour dépasser les doutes, affronter la solitude, toute sa ténacité, toute sa volonté d’œuvre, toute sa passion pour son art, toute l’intensité aussi du plaisir créateur. « Tout va vers le but dans une œuvre qui grandit » écrit Gaston Bachelard dans un petit livre, Le Droit de rêver, plus spécifiquement consacré aux artistes et dans lequel il poursuit sa réflexion sur la rêverie et l’imaginaire créatifs.

Ainsi, quelque ardue que soit la carrière d’une artiste, survient un moment, l’accueil favorable du public aidant, où elle se sent assez solide pour surmonter ses appréhensions et être complètement. Elle peut alors poursuivre sa recherche personnelle, affirmer ses goûts, ses audaces, choisir sereinement ses matériaux, ses couleurs et ses techniques, dans un seul souci d’équilibre matière et lumière. C’est enfin qu’elle peut composer une œuvre que nous voulons durable.

Feu d’artifice

Je rêve d’explosions qui déchirent le voile 
Du silence de la nuit et maquillent les étoiles,
De multiples couleurs qui  grignotent l’astrée
Et s’étalent peu à peu sur l’espace azuré.

Des traits éblouissants transpercent les étoiles,
Des fusées lumineuses fendent la voie lactée,
Des pinceaux explosifs semblent peindre une toile,
Et découpent le ciel en figures bigarrées.

Rien n’est plus beau que ce feu d’artifice !

Mikaël Le Saint, Le Feu d’artifice

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Etna

Au sommet de l’Etna, debout près du cratère,
Comme Heraclès devant le bûcher de l’Œta,
Embrassant du regard l’Océan et la terre,
Empédocle adora la nature et chanta.
(….)
D’un suprême sourire il salua la terre,
Et l’Etna l’engloutit dans son brûlant cratère,
Et bientôt du volcan le reflux souterrain
Rejeta vers le ciel ses sandales d’airain.
Mais, ainsi qu’un navire aux vents livrant ses voiles,
L’esprit du sage errait au dessus des étoiles

Louis Ménard (1822-1901) Empédocle, Poèmes

L’éclair

Il y a du sang sur le jaune d'oeuf
Il y a de l"eau sur la plaie de la lune
Il y a du sperme sur le pistil de la rose
ll y a un Dieu dans l'église
Qui chante et qui s"ennuie

Joyce Mansour Déchirures

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Départ de feu

Je suis le dernier sur ta route
Le dernier printemps, la dernière neige
Le dernier combat pour ne pas mourir

Et nous voici plus bas et plus haut que jamais

Il y a de tout dans notre bûcher 
Des pommes de pin des sarments
Mais aussi des fleurs plus fortes que l’eau

De la boue et de la rosée 
(…)
La flamme est restée sur la terre

La flamme est la nuée du cœur
Et toutes les branches du sang
Elle chante notre air

Elle dissipe la buée de notre hiver.

Paul Eluard, Le Phénix

Flammes

Demande à la flamme pourquoi elle brûle
Les chats de Novembre ne craignent pas la pluie
De seuil en deuil l’amour te déchire 
La joie saigne et remplit la joue
Cherches-tu sur cette herbe à convoquer les morts ?
Tourneras-tu toujours les yeux vers la Voie lactée 
de l’enfance ?
Les mains sur le feu je suis né pour vaincre.

Paol Keineg, Lieux communs.

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Incandescence

La Singerie ici-bas du soleil

Le feu, comme le singe, est un virtuose.
Il s’accroche et gesticule dans les branches.
Mais le spectacle en est rapide.
Et l’acteur ne survit pas longtemps à son théâtre,
Qui s’écroule brusquement en cendres
Un instant seulement avant le dernier geste, 
Le dernier cri…

Francis Ponge, Le soleil toupie à fouetter III, in Pièces.

Brasier

…Le galop soudain des étoiles 
N’étant que ce qui deviendra
Se mêle au hennissement mâle 
Des centaures dans leurs haras
Et des grand’plaintes végétales

Où sont ces têtes que j’avais
Où est le Dieu de ma jeunesse
L’amour est devenu mauvais
Qu’au brasier les flammes renaissent
Mon âme au soleil se dévêt 

Dans la plaine ont poussé des flammes
Nos cœurs pendent aux citronniers
Les têtes coupées qui m’acclament
Et les astres qui ont saigné 
Ne sont que des têtes de femmes…

Guillaume Apollinaire, Le Brasier, Extrait de Alcools

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Rouge Casagrande

Ah ! Mille flammes, un feu, la lumière, 
Une ombre !
Le soleil me suit.

Jacqueline me prolonge.

Paul Eluard, Corps mémorable (Dédicace)

Vésuve

Vésuves et Cie

Pompeia-station — Vésuve, est-ce encor toi ?
Toi qui fis mon bonheur, tout petit, en Bretagne,
— Du bon temps où la foi transportait la montagne —
Sur un bel abat-jour, chez une tante à moi :
Tu te détachais noir, sur un fond transparent,
Et la lampe grillait les feux de ton cratère,
C’était le confesseur, dit-on, de ma grand-mère 
Qui t’avais rapporté de Rome tout flambant…

Tristan Corbière, Les Amours Jaunes

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Déchirure

Il éclate avec une fureur sans égale,
Le feu rapide et véhément,
Nous le louons au dessus de la terre,
Le feu cruel météore de l’aube,
Sur la plus haute tempête,
Plus haute que les nuages.
Grand est son souffle,
Il ne faiblit jamais
Depuis les noces de Llyr.

Taliesin (poète et barde gallois du VIe siècle) in Les Grands Bardes Gallois.

Aciéries rouges

Cinq cents bombes pleines de souffre, 
de salpêtre et de vitriol,
De nitre, de camphre et de poudre,
De résine et de pétréol,
Toutes matières inflammables
Et d’enflammer aussi capables,
Parce qu’elles ont plusieurs trous,
Par où ces pâtes allumées,
Par où ces pâtes enflammées,
Peuvent se distiller sur nous.

Anonyme, Le bombardement de Saint-Malo in La Poésie bretonne d’expression française





 

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L’affiche rouge

Claque, claque, mon joli feu
Qui flambe dans ma cheminée 
Claque mon joli feu de bois,
Claque, claque ;
Comme le postillon du roi !

Louis Codet (Ami de Guillaume Apollinaire), poèmes et chansons

Passion

Les damnés 

Le feu qui les brûlera en enfer sera si vif
Que leur moelle bouillira dans leurs os ;
Plus ils demanderont grâce,
Plus ils seront tourmentés ;
Ils auront beau hurler,
Ils brûleront éternellement.

Chant populaire de Bretagne in Barzaz Breiz

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La Colère

Chaque fois que les gens découvrent son mensonge,
Le châtiment lui vient, par la colère accru.
Je suis cuit, je suis cuit ! gémit-il comme en songe.

Le menteur n’est jamais cru.

Alphonse Allais, Châtiment de la cuisson appliqué aux imposteurs.

La Tunique de Nessos ou la Mort d’Herakles

Dors, Justicier futur, dompteur des anciens crimes,
Dans l’attente et l’orgueil de tes faits magnanimes ;
Toi que les pins d’Oita verront, bûcher sacré,
La chair vive, et l’esprit par l’angoisse épuré,
Laisser, pour être un Dieu, sur la cime enflammée, 
Ta cendre et ta massue et la peau de Némée !

Charles-Marie Lecomte de Lisle L’enfance d’Herakles

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Traînées de braise

Dans les ruines de New -York
(Extrait)

Oh, là où tes enfants au soir de ton dernier dimanche,
Tiraient les uns sur les autres, à l’ombre du Paramount,
Les cendres des tours détruites 
Et les volutes de fumée s’enchevêtrent encore,
Et voient tes obsèques dans leur brume ;
Elles écrivent en braise ton épitaphe…

Thomas Merton, Formes pour une Apocalypse in 35 jeunes poètes américains