Sous le signe de l’Air

Mireille Camus, je le sais, a beaucoup voyagé et j’ai même eu, parfois, la chance de l’accompagner dans ses « voyages ». Elle a longuement arpenté le Lotois, depuis les rives de la Dordogne, aux terres à seigle et à châtaigne du Ségala, longé la Bave qui baigne paisiblement Saint-Céré, visité le creux de la vallée beaucoup plus tortueuse de la Cère, née des volcans d’Auvergne. Elle est passée par le Causse sauvage du Quercy, travaillé et creusé par l’eau jusqu’aux entrailles, puis s’est arrêtée longuement à Brengues, fascinée par les hautes falaises ocrées du Célé. Elle a contemplé les ciels purs du Triangle Noir, s’est attardée au parapet de Loubressac qui embrasse la vallée de la Dordogne, s’est reposée à la petite chapelle de Carennac ou dans la fraîcheur de la cascade d’Autoire.

Elle a aussi voyagé autour de La Rochelle ; maintes fois elle a parcouru cette côte charentaise, reliquat marécageux des anciens golfes des Pictons, des Santons ou de l’estuaire de la Seudre. A Marsilly, depuis la haute terrasse de l’église fortifiée, elle s’est rassasiée d’horizon et d’infini. A Esnandes, en lisière du Marais Poitevin, après avoir fait escale dans une auberge familière et s’y être régalée d’une mouclade, elle a contemplé le vaste estran confondu, à marée basse, au gris mauve du ciel. Puis elle a longé la petite route des abris juchés sur pilotis, équipés de leur élégant filet pour la pêche au carrelet ; à l’extrémité de la Pointe de la Fumée, elle pris le bac pour l’Ile d’Aix, l’île ravissante, toute ornée de ses volets verts et de ses roses trémières. Elle a suivi le cours sinueux de la Boutonne, depuis sa source à Chef-Boutonne jusqu’à sa confluence avec la Charente, à une quinzaine de kilomètres de Rochefort ; dans son cours moyen, aux environs de Dampierre, elle s’est émue de la profonde entaille dans la pierre tendre, imputable aux nombreux affluents qui grossissent et agitent le lit de la rivière. Dans l’ancienne citadelle et place-forte de Brouage, ceinte de vastes marais et marais salants, elle a rêvé de Marie Mancini, la jeune fiancée refusée par son oncle Mazarin à Louis XIV pour raison d’Etat. Elle a humé les odeurs des chargements de grumes au port de La Pallice, a été fouettée par les vents impétueux des rivages atlantiques, s’est abandonnée aux bleus dilatés du ciel, ou aux brises réthaises du petit bois de Trousse-Chemise.

C’est riche de toutes ces choses qu’elle a vues, senties, aimées durant ses déambulations que Mireille nous livre son œuvre de ces récentes années. Cette nature, lotoise ou charentaise, tout comme le cadre rural,  urbain ou maritime autour duquel elle se déploie ont inspiré à l’artiste les images, les couleurs, les matières imaginantes, même celles qui n’ont pas de substance :  Mireille a peint une certaine atmosphère autour du prunier de son jardin, le vent d’hiver âpre et froid, l’abondance dorée du ciel, la nuit violette sans lune ni étoiles, l’air léger et pur — substance de la liberté et de la joie surhumaine selon Nietzsche —, l’odeur infinie des pins, le poudroiement du printemps, la rencontre fortuite des ruisseaux et des rivières, l’absence répétée de la mer. Elle a imaginé les corps brillants en errance dans la profondeur noire du cosmos, exploré les braises et les incandescences des feux qui s’apaisent ou les eaux étincelantes et infernales du dessous de la terre et bien d’autres choses encore.

« On veut toujours que l’imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception ou le souvenir de la perception. Elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images » nous dit Gaston Bachelard, dans son introduction à l’Air et les songes. C’est, selon le philosophe, cette aptitude à se libérer des images dont nous serions les prisonniers, qui induit « l’action imaginante » et ouvre la voie à l’imaginaire. 

Selon lui, « Imaginer c’est s’absenter, c’est s’élancer vers une vie nouvelle ». Notre esprit a besoin de nouveauté. Pour créer, il doit se débarrasser des images conventionnelles et trop confortables qui l’engourdissent. Elles ont perdu leur pouvoir imaginaire… « Chaque poète (chaque peintre) nous doit son invitation au voyage » écrit-il encore.

Mireille Camus n’y manque pas. Elle nous invite à voyager avec elle. Dans cette série, sont présentées quelques-unes de ses toiles et de ses rêveries illustrant la thématique de l’Air, plus précisément le trajet du réel à l’imaginaire de l’Air, la mise en tension d’un mouvement aérien libérateur. « Avec l’air, le mouvement prime la substance. Il n’y a substance que s’il y a mouvement, le mouvement d’un voyage au pays de l’infini ».

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L’Infini 1

« Le ciel bleu se creuse sous le rêve. Le rêve échappe à l’image plane. Bientôt, d’une manière paradoxale, le rêve aérien n’a plus que la dimension profonde (…) D’abord il n’y a rien ; puis il y a un rien profond, ensuite il y a une profondeur bleue. »

Gaston Bachelard, L’Air et les Songes

Le planeur

Il est libre Max,
Y’en a même qui disent
Qu’ils l’ont vu voler

Hervé Cristiani, Il est libre Max

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Ré, Trousse-chemise

— Je suis assis là, respirant le meilleur air,
l’air du paradis en vérité, 
l’air clair, léger et rayé d’or,
aussi bon qu’il en soit jamais
tombé de la lune...

Nietzsche, Ecce homo, Poésies
Cité par Gaston Bachelard, L’Air et les Songes

L’Aviateur

La nuit étoilée est ma constellation. 
Elle me donne la conscience de mon pouvoir constellant. Elle me met dans les doigts, 
comme dit le poète, ces calices sans poids, ces fleurs d’espace…

Guy Lavaud, Poétique du ciel

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Autant en emporte le vent

D’où, barbe au vent, nous reviens-tu, Septembre, la lèvre humide, amant gourmand, botté, ceint d’or sur ta jument, comme un Saint-Georges et, comme après les mers Sindbad, oint d’ambre?

Jean Grosjean, La lueur des jours

Grand vent

Les vents sont forts ! 
la chair est brève !…
Aux crêtes liserées d’ors et de feux,
dans les lancinations du soir,
aux crêtes ciliées d’aiguilles lumineuses,
parmi d’étranges radiolaires…

Saint-John Perse, Vents

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Cosmos

Parmi les choses réparties au hasard, le plus beau : le cosmos. L’harmonie invisible plus belle que la visible. 
Nature aime à se cacher.

Les âmes émanent du cosmos universel — rempli de dieux et de daimones — elles ne peuvent échapper au circulus qui embrasse tout.

Heraclite, Fragments

Danse des ombres

A son aile s’alliait une ombre et, quand elle a volé, tomba une essence, puissante — pour détruire une âme qui la savait.

Edgar Poe, Stances

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Astéroïdes 3 : Le dragon

Le point de vue d’un astéroïde sur les chagrins d’un humain est un angle infinitésimal si bien lancé dans le froid qu’on le prendrait pour de l’indifférence. Si l’humain se retournait pour le contempler, que pourrait-il comprendre ?

Michel Lemaire, Les astéroïdes

Astéroïde 5, Bijou divin

Ainsi que tous les êtres tournant dans l’espace, les astéroïdes rêvent et dans leurs rêves une plage paradoxale éclaircit les directions, mais la plage blanche et dorée où l’ondine rejoint celui qui l’attend n’existe peut-être pas.

Michel Lemaire, Les astéroïdes

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Astéroide 6

Verticale de pierre, érosion des sentiments… si loin dans la nuit que les peines ne déchirent plus comme antan le corps des astéroïdes.
Et le vide les enveloppe en ses couches chronométrées.

Michel Lemaire, Les astéroïdes

Planète Mars

On invente une navette spatiale qui file à la vitesse de la lumière. Elle mettra quatre cent mille ans pour traverser aller et retour la Voie lactée, notre galaxie.
Si on place un homo erectus à bord de la navette au début du voyage il en ressortira un cyborg à l’arrivée…

Sur une idée de Yasmine Blum, Fixer le plafond

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La nuit

Je m’éveille et sens le chu du noir, 
non pas le jour, quelles heures, déjà, 
ô quelles noires heures de nuit ! 
Mon cœur, quelles visions ! 
Par quelles voies ! 
Et quelles à subir tant que tarde encor l’aube !

G.-M. Hopkins, Poèmes et proses

Obscure clarté

…Et de tes yeux jaillit
Même quand tu les voiles 
Cette obscure clarté 
Qui tombe des étoiles.

Guillaume Apollinaire, 
Les Onze mille verges 
ou les amours d’un hospodar
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L’Orage

L’autre soir il tonnait, 
et sur la terre aux tombes 
j’écoutais retentir cette réponse à l’homme, 
qui fut brève, et ne fut que fracas.

Saint-John Perse, Chant pour un équinoxe

Renouveau

J’attends, en m’abîmant que mon ennui s’élève…
Cependant l’Azur rit sur la haie et l’éveil 
De tant d’oiseaux en fleur gazouillant au soleil.

Stéphane Mallarmé, Œuvres poétiques I

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