Mireille Camus est née à La Rochelle. Elle a passé une partie de sa jeunesse dans cette cité, qui n’a d’yeux que pour l’horizon. Même si elle n’a pas vécu dans la région sa vie d’adulte, la terre et la mer charentaises ont suffisamment imprégné sa jeune sensibilité pour que sa peinture s’en trouve plus tard fortement influencée. Quand elle y est revenue dans les années quatre-vingt dix, elle a éprouvé la nécessité de transmettre — dans la mesure où l’expression plastique permet à l’artiste d’exprimer ce par quoi il est touché et qui le meut — son attachement à la terre de son enfance.
Pour définir la peinture de Mireille Camus, avec la seule compétence du regardeur, il convient de contempler, analyser et surtout ressentir en profondeur les œuvres, sans parti pris esthétique – la peinture de Mireille Camus n’ayant pas vocation à décorer – et se concentrer plus particulièrement sur le cheminement possible des idées qui ont menées l’artiste, qui la mènent aujourd’hui encore à la création. L’imaginaire de la matière foisonnante qui guide son geste ne fait pas d’elle un peintre paysagiste mais vise à donner une impression de nature, une rêverie de la matière. Selon Gaston Bachelard, « Avant d’être un spectacle conscient, tout paysage est une expérience onirique ».
On peut en effet associer la peinture de Mireille Camus à la philosophie de Gaston Bachelard. Dans une série d’ouvrages, l’auteur développe son point de vue sur les relations que l’imaginaire entretient avec les images que nous recevons de la nature. Se référant à d’antiques traditions de description et d’analyse du monde, Gaston Bachelard classe les inspirations poétiques ou littéraires selon les catégories élémentaires : l’Eau, le Feu, l’Air et la Terre, qu’il considère comme autant d’objets de recherche sur l’imagination de la matière et d’approche des œuvres.
« Le poète du feu, celui de l’eau ou celui de la terre ne transmettent pas la même inspiration que le poète de l’air » écrit Bachelard ; l’imagination créatrice a besoin pour s’exprimer d’un support matériel, celui là même que l’on trouve dans ces quatre éléments fondamentaux, qui inspirent encore aujourd’hui de façon inconsciente un grand nombre de nos rêveries poétiques. Opposant l’imagination des formes à l’imagination de la matière, il écrit : « Les forces imaginantes de notre esprit se développent sur deux axes très différents :
- Les unes – celles de l’imagination formelle – trouvent leur essor devant la nouveauté, le pittoresque de la variété, de l’événement inattendu ; l’imagination qu’elles animent a toujours un printemps à décrire, elles produisent des fleurs.
- Les autres forces imaginantes — celles de l’imagination matérielle — creusent le fond de l’être : elles veulent trouver dans l’être, à la fois le primitif et l’universel. Seule une matière peut recevoir la charge des impressions et des sentiments ».
L’œuvre féconde de Mireille Camus relève clairement de la catégorie de l’imagination matérielle. Dans ses toiles, plus que la réalité formelle, elle a cherché à traduire l’essence même de la matière qu’elle traite. Sans sciemment opérer de rapprochement avec les théories bachelardiennes, elle s’est intéressée spontanément à la substance des choses. De purement figurative à ses débuts, sa peinture est devenue progressivement abstraite et par là même plus apte à rendre compte de l’imaginaire de la matière. Elle a su capter des atmosphères, des substances, des mouvements, des essences : quand elle peint Ré, Trousse-Chemise, elle restitue une matière simple et délicate, faite de chaleur douce et printanière, mélange d’odeurs infinies des pins et d’eau de mer mêlées, exprimant la matérialité transparente d’un petit bout de l’île de Ré de son enfance. Dans un même esprit elle révèle les mystères de la confluence ou encore, par une approche originale, elle nous dépeint les eaux mortes et mélancoliques (Marécages), les bruines atlantiques (Falaise en mer), les eaux profondes marines (Grands fonds), les eaux ruisselantes et scintillantes ds grottes (Grottes chutes d’eau), les eaux lourdes et noires des gouffres (Padirac), et surtout, dans son Enfer, un styx brun — le fleuve des morts — longeant un mur de feu et d’étincelles, mariage du feu et de l’eau, qui ne peut manquer de provoquer chez le visiteur un curieux sentiment de crainte, voire de légère anxiété.
L’Eau occupe une place de choix dans l’œuvre de Mireille Camus. Elle figure dans un grand nombre de ses toiles. L’artiste a produit des images matérielles directes de l’Eau sous tous les rapports : depuis l’Océan et ses profondeurs, aux brumes vaporeuses et salées, en passant par la rencontre rêveuse entre fleuves et rivières, ruisseaux et lacs. Elle peint les eaux qui courent et les eaux stagnantes, la pluie, les reflets et miroitements sur les étangs, les cascades et les chutes, sans omettre la mer dans tous ses états : celle, civilisée et conventionnelle des voileux ou autres amateurs de plaisirs nautiques, celle, violente et conjuguée au vent des fortes marées, celle, gelée, des pôles, celle, tranquille, des ports actifs ou endormis, ou encore celle des plaines côtières divinement nivelées. Mireille Camus s’attarde aussi dans ses rêves multiples de mer qui se retire, exposant ses rivages abandonnés, ses mascarets des marées montantes, ses estrans couverts d’algues, ses marais salants et marécages, son balancement perpétuel et ses caresses langoureuses et nuancées avec la terre et le sable.
Les autres Éléments sont aussi présents dans l’œuvre de l’artiste : elle nous montre le ciel dans ses couleurs irisées, le cosmos noir peuplé d’étoiles, d’astéroïdes ou de planètes. Elle peint le Feu, celui des foyers naissants, des incendies qui ravagent, des déflagrations volcaniques, des usines fumantes, des brasiers et des cendres. Enfin, elle peint aussi la Terre, celle du dessus, où domine la dureté des falaises ou des rocs, des métaux tordus dans les aciéries, des bois que façonne le menuisier, des pierres à tailler, des arbres ou des forêts, mais qui sait laisser place à la mollesse des prairies grasses et vertes, des sables à pétrir. Dans la Terre du dessous, elle nous laisse imaginer des gouffres inquiétants et sombres et des grottes humides ou infernales.
L’artiste évoque tous ces Éléments alternant des approches allusivement figuratives ou plus abstraites nous guidant pour l’appréhension de l’image par sa technique (acrylique, huile, fusain, collage), les supports qu’elle sélectionne (toile, papier, papier de soie, carton) et surtout les couleurs qu’elle choisit : une gamme de bleus transparents qui flottent, enrichis par des formes d’un bleu plus intense, ou mêlés à des jaunes ambrés, des ocres chauds ; une variété de rouges flamboyants adoucis par des jaunes ambrés, des ocres chauds ; une variété de rouges cramoisi ou flamboyants adoucis par des jaunes orabgés, assombris par des bruns, ou ponctués de traces sombres. Elle joue aussi avec les noirs, en monochrome ou en contraste mat/brillant. Parfois seul un titre évocateur attribué au tableau nous met sur la piste d’une interprétation possible, mais il arrive aussi que le nom donné à l’œuvre nous égare.
« Les images s’associent par la seule grâce de la sonorité des mots », nous dit encore Bachelard. « De même l’imaginaire s’enflamme à la seule vue d’une toile qui nous parle. Alors, par un faisceau de ramifications, le poème et le tableau ouvrent à une grappe d’images ». C’est pourquoi, tout au long de cette démarche, il nous a semblé éclairant d’associer aux tableaux présentés un choix de textes ou de poèmes visant à démultiplier les cheminements de l’imaginaire.
Loin d’être enfermée dans le cadre théorique bachelardien, Mireille Camus s’est de surcroît exprimée avec des œuvres qui n’ont, à première vue, que peu à voir avec les Éléments : paysages urbains, industriels, maritimes ou ruraux, ports, textiles, essais de matières ou de supports originaux de fabrication locale, empreintes, encres et collages.
Toutes ces œuvres sont présentées le catalogue.
On peut chercher le sens et la cohérence d’une œuvre au niveau des sensations, des préférences avouées ou inavouées pour certains éléments, certaines matières, certains états du monde extérieur, au niveau de cette région de la conscience profonde mais ouverte aux choses. »
Genette, Figures 1
L’Étang
Reflets
Dans le miroir de l’étang, les grands calices des arums blancs et des saules renversés en bordure glissent doucement. « La rêverie poétique du reflet, figure de la surface de l’eau offerte à la clarté du jour, éveille la sensation de fluidité et d’inconsistance qui flotte et disparaît… »
Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves
Nénuphars
L’étang dont le soleil chauffe la somnolence est fleuri, ce matin, de beaux nénuphars blancs ; Les uns, sortis de l’eau, se dressent tout tremblants, Et dans l’air parfumé leur tige se balance.
Edmond Rostand, Les Nénuphars
L’eau fuyante
Le Ruisseau
L’eau fuyante des rivières évoque le renouveau, le printemps, la jeunesse, on entend ici son doux chant et les oiseaux qui répondent en écho. La rivière ondoie et invite à se tremper. « Les eaux claires, fraîches, printanières donnent naissance à des images en fuite car l’élément qui les porte et les constitue est voué par essence à l’évanouissement ».
Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves
Rivière le soir
Les saules bleutés qui l’accompagnent frissonnent à la montée de la fraîcheur. « Nous allons suivre dans ses détails la vie d’une eau imaginée, la vie d’une substance bien personnalisée…Nous allons voir qu’elle assemble les schèmes de la vie attirée par la mort, de la vie qui veut mourir… »
Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves
Grand lézard bleu
Inconstance de l’eau Tant qu’à leurs filets relevèrent Poissons luisants et algues fraîches Filles ne virent sur la mer Que sel et feu jusqu’à plus soif Ores qu’il n’est plus ni soleil Ni blancheur éclatant à la vague d’étrave Comme elles je n’y vois que le noir du profond Le lac d’amer oubli où la magie se lasse Et pour qui ne veut pas se plier aux prières L’obscurité du ciel trouée de mots sans yeux Où le monde impensé s’ouvre à la Voie du vide.
Jean-Claude Passeron, Pièces de poésie privée
Confluences
L’Embouchure
J’avais toujours bien aimé les paysages de ce genre, géographiques pour ainsi dire, les caps, les deltas, les confluents, et surtout les embouchures, la rencontre des fleuves et de la mer.
Marguerite Duras, Le Marin de Gibraltar
Confluent
Je me suis retrouvé entre deux siècles comme au confluent de deux fleuves. J’ai plongé dans leurs eaux troublées m’éloignant à regret du vieux rivage où je suis né, nageant avec espérance vers une rive inconnue.
François René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe
Au loin le rêve
Le Fleuve Comme coule le fleuve aux confins de l’Empire Plus immémorial gorgé de terre initiale Accouplé au ventre docile de la nuit N’est-il pas déjà las de sa toute-puissance ? Prédateurs et démons courent à la surface Il y a tant de poissons leur œil est de glace Des vestiges flottés se jouent aux tourbillons Les moments de répit sont de sauvagerie De grand fracas le retour des saisons
Jean-Claude Passeron, Pièces de poésie privée
La mer
« La mer ne cesse de montrer le possible »
Paul Valery, Œuvres II
Le grand bleu
J’ai vu fleurir aux feux du large la grande chose fériée : la Mer en fête de nos songes, comme une Pâque d’herbe verte et comme fête que l’on fête…
Saint-John Perse, Amers
Falaise en mer
« Vienne le temps où la mer Apaise sa fière poitrine Et respire lentement de toutes ses mamelles … » Frédéric Mistral, Mireille « Tel sera le spectacle d’une mer laiteuse qui doucement s’apaise : elle sera la mère au sein innombrable, au cœur innombrable. » Gaston Bachelard, L'Eau et les Rêves
Les eaux composées, la mer absente
Brouage
« Voilà : plaines, marais, tourbières, mer qui fuit, fortins, mâchicoulis, chicanes, barques fendues, sommeil des terres lourdes voilà le soir… L’eau, et me voilà trop sombre au sommet de la tour ou tombant sans fin dans l’abîme des poudrières, sulfureuse, morte qui n’est point morte….Mais l’eau meurt, l’eau sombre, l’eau décimée décroît. Et moi. »
Michel Bernard, Brouage
La Mer se retire
Quand elle s’éloigne la mer laisse la place au rivage couvert d’algues et de mousses. « Le mariage substantiel de la terre et de l’eau réalisé dans le marais détermine la puissance végétale anonyme, grasse, courte et abondante »
Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves
Marée basse
Le sable d’or lorsque femmes près du lavoir eau bleue comme la craie mer bruissante aussi ces tissus qu’on tord au lavoir enfoncée dans la croûte terrestre tel un sablier tourné vers le moi comme le profil d’une charrue voici la mer
Mathieu Bénézet, Album de 1974 (… Et nous n’apprîmes rien)
Marécage bleu
L’eau dissout, elle échauffe, elle ramollit, elle pénètre et le sel devient salive, persuade, mâche, mélange et dès que la base est ainsi préparée, la vie part, le monde végétal par toutes ses racines recommence à tirer sur le fonds universel.
Paul Claudel, L’Oiseau noir dans le soleil levant
Le Marigot
La mer fauve, la mer vierge, la mer sauvage, au profond de son lit de nacre inviolé, redescend, pour aller dormir, loin, bien loin du rivage… »
Nerée Beauchemin, Les floraisons matinales
Marécage
En ces lieux de sabbat, toujours les brumes enveloppent, Comme une armée venue des ombres Qui s’élève silencieuse du sol et charge dans la pénombre Jusqu’au cœur où la panique se répand… Guillaume Prével, Marécage, (2015)
Naufrage
s’il n’est naufrage définitif nous n’avons d’effroi que dans la mer avide balançant les mots le désert aussi confisque les corps tant gonflés de mémoire mais rend les os que le regard délie pour croire aux mouvements de sable et de houle
Gérard Titus-Carmel, Ici rien n’est présent
L’eau profonde
Grands fonds
Celui qui se penche par-dessus le bord d’une barque lente, sur le sein d’une eau tranquille, se plaisant aux découvertes que fait son œil au fond des eaux, y voit mille choses — des herbes, des poissons, des fleurs, des grottes, des galets, des racines d’arbres — et en imagine plus encore.
William Wordsworth, Le Prélude
Grottes chute d’eau
Près de l’eau claire, infiltrée, qui tombe, la lumière prend une tonalité nouvelle, il semble que la lumière ait plus de clarté quand elle rencontre une eau claire.
Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves
Par un oxymore visuel inattendu, la chute d’eau pure et fraîche de la cascade, signe de renaissance, se fond dans l’eau de la rivière souterraine, lourde et sombre, qui caractérise, selon Bachelard, l’écoulement, la dissolution, la mort.
Padirac
« L’eau toujours coule, l’eau toujours tombe, elle finit toujours en sa mort horizontale. La peine de l’eau est infinie ». Gaston Bachelard, L’eau et les rêves « L’eau toujours coule, l’eau toujours tombe, elle finit toujours en sa mort horizontale. La peine de l’eau est infinie ». Gaston Bachelard, L’eau et les rêves Sur le marais Acherousia, le nocher Charon, aux yeux gris-bleu et au regaud cruel, s'aide d'une perche pour conduire lentement les âmes des morts aaynt sépulture jusqu'au Styx.
L’Enfer
Après avoir traversé la terre, après avoir traversé le feu, l’âme arrivera au bord de l’eau, l’eau du Styx. Les âmes apeurées pourront alors franchir le fleuve non sans avoir versé au nocher son obole, car l’eau a sa part dans la mort.